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Tract distribué lors de la manifestation étudiante du 22 mars.
Le 22 mars se présente comme le zénith de la grève, son point culminant, celui à partir duquel le gouvernement n’aura d’autre choix que de nous faire une offre ou d’être encore plus répressif. Les fédérations étudiantes (FECQ-FEUQ) ont bien calculé leur coup, prévu depuis des mois : grosse manif dans la semaine du budget, puis congrès national cette même fin de semaine et, hier, demande au gouvernement de nommer un médiateur. La fin de la grève pourrait effectivement être très proche. Une offre est peut-être même déjà sur la table, sur le point d’être présentée aux étudiantes et aux étudiants en lutte.
Dans le cas contraire, les plus mous s’effondreront devant la ligne dure du gouvernement et appelleront à la fin de la grève dans la défaite. Dans tous les cas, les fédérations étudiantes, les grands médias et le gouvernement convergeront alors tous vers un même discours : la grève s’essouffle. Le compromis, s’il y en a un, est raisonnable et les étudiantes et les étudiants doivent retourner en classe afin de ne pas compromettre une session qui a déjà été bien chamboulée. Dès maintenant, il nous faut dévoiler la foutaise de ce discours et son caractère profondément manipulateur : les médias et les organisations nationales sont des relais bien dociles certes, mais ce ne sont pas eux et elles qui font vivre cette grève.
Les médias sont aux mains de grands conglomérats capitalistes qui appuient sans réserve l’idéologie néolibérale dont la hausse des frais de scolarité n’est que l’une des applications concrètes. Leurs propriétaires, Péladeau, Desmarais, Rémillard ont intérêt à ce que leurs impôts baissent, à ce que les politiques de redistribution des richesses soient de plus en plus limitées. La profondeur de leur portefeuille en dépend et ils l’ont bien compris en alignant ce que publient leurs entreprises privées sur une ligne éditoriale conforme à leurs intérêts.
C’est pour ces raisons que les médias diluent notre discours et font de notre lutte un spectacle télévisuel sous l’emprise de porte-parole érigé-es en vedettes. Ils contribuent à étiqueter abusivement comme « violente » toute action exerçant une réelle pression sur l’État, dans l’objectif de nous dénier toute légitimité. Le mouvement étudiant est parfois complice de cette logique qui ne crée pas vraiment apparences. Croire les médias quand ils parleront d’essoufflement de la grève après quelques petits votes insignifiants en faveur d’un retour en classe, croire que les actions de perturbations sont illégitimes parce que violentes, ce serait tout simplement croire ce que nos adversaires souhaitent nous inculquer. Ce serait laisser à nos opposants le soin de définir nos mots d’ordres. Ce serait se laisser manipuler grossièrement.
De leur côté, les fédérations étudiantes se présentent comme les actrices modérées et tentent – jusqu’ici sans grand succès – d’être les interlocutrices privilégiées du gouvernement. Pour ce faire, elles sont prêtes à accepter avec gratitude les premières miettes lâchées par le gouvernement et à proposer des solutions alternatives qui s’avèreront rapidement des défaites, comme elles l’ont déjà fait après la manifestation du 10 novembre dernier, en proposant d’aller chercher l’argent du gel des frais en coupant les crédits d’impôts dont profite la population étudiante.
La CLASSE, de son côté, pourrait être effrayée par les conséquences d’un appel à la poursuite de la grève. Certaines voix se feront insistantes et pourraient en appeler à un « repli stratégique » – un euphémisme pour dire retour en classe – qui n’aurait d’autre objectif que de protéger l’ASSÉ contre un backlash post-grève. La peur de perdre des membres en défendant une ligne combative pourrait alors lui faire prendre un virage corporatiste. Faut-il souligner que les organisations étudiantes doivent être soumises aux impératifs de la lutte, et non l’inverse ?Si toutes les associations nationales nous lâchent, nous aurons à continuer la lutte dans le cadre d’une souveraineté totale face à celles-ci, multipliant les rapports solidaires entre les associations locales toujours en grève pour obtenir ce pourquoi nous combattons.
Si une première offre gouvernementale est soumise bientôt, ce sera là une preuve de faiblesse de la part de la ministre. Mais même si celle-ci maintien l’actuelle ligne dure, un gros atout demeure dans notre jeu. La grève pèse même en l’absence d’actions de perturbation économique massive, car le blocage du système d’éducation peut retarder l’entrée d’une cohorte sur le marché du travail tout en créant un bouchon au moment des prochaines inscriptions. Une de nos plus grande force, c’est notre capacité collective à bloquer la formation de la main-d’œuvre, et s’attaquer ainsi aux intérêts économiques qui ont une si forte influence sur l’État.
Nous sommes les porteuses et les porteurs de cette grève. Nous n’avons pas créé ce mouvement pour nous écraser à la première occasion. N’attendons pas que d’autres scandent leurs mots d’ordre de retour en classe. Ce pouvoir démocratique nous revient de droit et nous n’avons pas à nous plier à des appels avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Nous avons pris le pavé depuis plus d’un mois, participant de surcroît à des actions de plus en plus populeuses. La solidarité grandit, la résistance se durcit, nous sommes en colère, nous sommes enragé-es face au mutisme du gouvernement et la répression des « gardiens de la paix ». Rien ne devrait nous convaincre de retourner sur les bancs d’école, sauf la victoire.
Le problème qui se pose à nous, grévistes, après le 22 mars est le suivant : comment résister à la force brute de la répression du mouvement ? La police ne retiendra pas ses coups pour nous repousser sur les bancs d’école. Le gouvernement, les médias et les fédérations étudiantes ont l’habitude historique de nous faire avaler des offres minables dans les assemblées générales. Le 22 mars pourrait être une date historique dans l’histoire du mouvement étudiant. Ça pourrait être le moment où nous avons collectivement compris comment on nous manipule. Ça pourrait être le moment où nous avons choisi d’aller jusqu’au bout de nos convictions, où nous avons montré que nous refusions un avenir pavé de dettes que nous devrons payer aux criss de capitalistes. Ça pourrait être le jour où on a crié, tout le monde, notre profond dégoût du futur qu’on nous prépare, de la société injuste, répressive et oppressante que les politiques de Charest présagent, et dont les coups de matraque, les gaz, les flashbangs, les arrestations et le poivre nous donnent un avant-goût.
Le 22 mars doit être le début de la grève, pas sa fin.