samedi 19 novembre 2011

FédéLeaks

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Il est hasardeux de prophétiser sur l'issue d'une grève. Quiconque s’y aventure peut rapidement perdre la face. Le caractère incontrôlable d’un tel mouvement renferme un potentiel d’émancipation insoupçonné. Un simple calcul de probabilité peut toutefois permettre de prévoir le comportement politique de différents acteurs parmi les plus importants. Or, parfois, les constantes historiques sont insuffisantes. Ça l’est d’autant plus à la suite d’une campagne de martèlement sur l’unité du mouvement. Il faut alors employer les grands moyens: prendre possession des documents officiels et les diffuser largement.

C’est ainsi que nous avons pris connaissance de l’état des réflexions au sein des fédérations étudiantes pour la négociation d’une nouvelle entente à rabais qui résultera de la récupération de la grève à venir dans le dos de l’ensemble des étudiant-es du Québec. Au prochain congrès de la FECQ, qui se tiendra en janvier, les représentant-es prendront position sur une proposition d’ “abolition des crédits d’impôts provinciaux et fédéraux pour l’éducation postsecondaire”, en échange du gel des frais de scolarité. Le libellé de la proposition parle de “réinvestir” les sommes issues de ces coupures de crédits d’impôts “prioritairement dans le gel des frais de scolarité”, ce qui signifie que la FECQ serait d’accord avec le gouvernement pour dire que les étudiant-es doivent contribuer plus à leurs études, et ne cherche qu’à adoucir les conditions dans lesquelles cette contribution sera versée.

Si les sommes récupérées par cette proposition ne sont pas suffisantes pour combler le manque à gagner causé par un recul de l’État sur les frais de scolarité, l’offre de la FECQ est quand même tout une aubaine pour le gouvernement, puisqu’elle accepte plus de 75% de l’appauvrissement amené par la hausse. En effet, l’abolition de ces crédits d’impôts amènerait 154 millions dans les coffres de l’État, alors que la hausse des frais de scolarité rapporterait à terme, en 2016, 191 millions annuellement. La FECQ serait donc prête à accepter un deal fiscal dans lequel plus des trois quarts du montant représenté par l’éventuelle hausse des frais de scolarité resterait à la charge des étudiant-es. En terme d’entente à rabais, difficile de faire mieux.

Par cette proposition, la FECQ ne cherche pas à contrer la logique de coupures et de reculs sociaux défendue par le gouvernement libéral, mais se contente d’aménager certaines attaques et de remettre à plus tard le moment où les frais de scolarité seront payés. Il s’agit de l’attitude traditionnelle des fédérations étudiantes, qui plutôt que de lutter contre les politiques qui nous appauvrissent, ont choisi de participer à fond la caisse à la gouvernance néolibérale en proposant des reculs moindres, telles des pilules de poison enrobées de sucre.

Face à une telle provocation de la FECQ envers les milliers d’étudiants et étudiantes qui étaient à la manifestation le 10 novembre dernier, on est en droit de se demander comment il a pu être possible qu’ils et elles n’aient alors même pas été au courant. Que dire, en effet, du silence que certains exécutifs qui étaient depuis longtemps informés de l’existence de cette entente ont gardé pour des raisons qu’ils jugeaient stratégiques? Est-ce à eux de décider de quelle stratégie la base étudiante doit se munir pour faire face aux défis qui l’attendent? Et surtout, ignoraient-ils vraiment que le fait de maintenir cette base dans l’ignorance des enjeux réellement en présence ne pourrait que nuire à ses chances d’élaborer une stratégie qui soit la sienne? Pour nous, il est clair que le simple fait que nous soyons obligé-es de diffuser nous-mêmes le document que nous vous transmettons aujourd’hui démontre un grave manque de transparence de la part des associations nationales et de leurs exécutifs.

À la politique d’opacité et de contrôle serré de l’information favorisée par les fédérations étudiantes, nous devons opposer la totale transparence de nos associations, sans laquelle la démocratie n’aurait plus de sens. L'information constitue un levier précieux pour quiconque veut maintenir son pouvoir sur un mouvement, qu’il soit des fédérations ou de l’ASSÉ, mais elle est également une arme redoutable contre eux. Puisque nous prônons le contrôle total de la lutte par la base, nous affirmons que c’est à celle-ci que le contrôle des armes doit revenir. Force étudiante critique appelle donc à la diffusion large et immédiate de toute information qui concerne directement le mouvement, c’est-à-dire à l’ensemble des individus qui le composent et qui écoperont des conséquences à l’issue de la lutte. Cela doit selon nous être fait sans égard aux prétendues stratégies qui ont besoin de l’aveuglement général pour porter fruit.

jeudi 10 novembre 2011

L'union fait la farce!

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Tract distribué lors de la manifestation du 10 novembre 2011, organisée conjointement par l'ASSÉ, la FECQ-FEUQ et la TACEQ.


Bienvenu-es dans le nouveau mouvement étudiant uni, celui qui rassemble toutes les tendances vers un seul et unique objectif. Dans cette ambiance de rêve, où toutes et tous se tendent la main dans l’allégresse, les voix discordantes se font rares. Il y a toute de même la Fédération Étudiante Universitaire du Québec (FEUQ) qui a refusé de signer une entente avec les autres exécutifs d’associations étudiantes nationales et d’écrire un communiqué de presse commun.

Or, si la FEUQ agit ainsi, ce n’est que pour protéger sa position d’interlocuteur privilégié du gouvernement. Dans les bureaux confortables de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM), ses dirigeants s’affairent déjà à orchestrer, sans le moindre mandat d’une assemblée générale, l’issue de la lutte actuelle en peaufinant des propositions de compromis qui feront reculer gravement la condition étudiante. Un document interne de la FAÉCUM, datant de décembre 2010 et signé par la totalité de l’exécutif, propose une pudique « contribution des diplômé-es universitaires » sous laquelle se cache l’impôt post-universitaire (IPU). Celui-ci, destiné à faire porter le fardeau du financement de l’éducation aux étudiantes et aux étudiants, est présenté depuis la fondation de la FEUQ comme une alternative au financement public de l’éducation postsecondaire. Pourtant, derrière cette mesure ne se cache rien d’autre qu’une hausse drastique des frais de scolarité, camouflée sous le couvert d’une importante augmentation de l’endettement qui atteint pourtant déjà des niveaux intolérables.

Que l’IPU s’applique tout au long de la vie active de l’ex-universitaire ou seulement pendant vingt ans, qu’il soit composé de trois ou six paliers, il ne permet pas d’assurer l’accessibilité à l’éducation ni un meilleurfinancement de celle-ci. Cette mesure, illustration du désengagement de l’État dans le domaine de l’éducation, aurait, au contraire, un impact négatif sur la situation des femmes, désavantagées par le fait qu’elles gagnent moins que leurs collègues masculins à diplôme égal, ainsi que sur les personnes à faible revenu qui ne peuvent tout simplement pas s’endetter davantage. Bref, l’IPU se réaliserait en conformité avec toutes ces solutions néolibérales qui consistent à faire porter sur le dos des individus le coût des mesures sociales qui profitent à la société dans son ensemble.

Quant à elle, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) joue à l’autruche et ne veut pas réaliser que la FEUQ a son propre plan concernant l’issue de la grève générale de cet hiver. Elle se targue d’être en train de construire une coalition étudiante démocratique, féministe et combative, mais ferme les yeux sur les pratiques de ses alliées. Peu à peu, ce sont les pratiques mêmes de l’ASSÉ qui deviennent le miroir de celles de la FEUQ. Accepter de s’allier avec celle-ci, c’est accepter une négociation en haut lieu dans le dos des étudiantes et étudiants membres de la fédération qui ne sont pratiquement jamais consulté-es.

Car la FEUQ garde en poche la carte de l’IPU et la ressort régulièrement, depuis l’annonce du dégel de 1990 jusqu’à celui de 2007. C’est bien là-dessus que la FAÉCUM planche, elle qui compte pour 30% des rangs de la FEUQ et qui y exerce une influence prépondérante. Il s’agit d’un secret bien gardé, et pour cause : la plupart des quelques 200 000 étudiants-es qu’on dit en grève aujourd’hui les enverraient promener si elles et ils savaient ce qui se trame derrière le discours voulant réunir d’un coup de baguette magique les pôles d’un désaccord politique fondamental. Les appels à l’unité étouffent trop souvent les critiques légitimes et cela risque d’être désastreux cet hiver puisque le gouvernement, après trente ans de tentatives infructueuses, mettra tout en oeuvre, y compris ses contacts au sein des élites syndicales du mouvement étudiant, pour enfin augmenter les frais de scolarité de plusieurs milliers de dollars.

Il fut un temps où critiquer les fédérations étudiantes, ces organisations bureaucratiques à l’image des grands syndicats québécois, était chose commune au sein du mouvement étudiant de gauche. C’est en marquant sa différence par rapport aux fédérations que celui-ci pouvait défendre au mieux les intérêts des étudiants-es. Pour éviter la récupération, une organisation combative se met en opposition non seulement avec l’État, mais également avec les organisations sur lesquels ce dernier s’appuie pour négocier notre appauvrissement tout en bloquant la force réelle que le mouvement peut avoir. Rappelons-nous la grève de 2005 où les fédérations étudiantes ont négocié à huis-clos avec le gouvernement alors qu’elles n’avaient pas l’appui de la majorité des associations en grève pour ensuite envoyer leurs leaders dans les assemblées générales afin d’appeler à mettre fin à la grève. La question est de savoir si l’ASSÉ peut mobiliser massivement les étudiants-es sur des revendications ambitieuses et aller jusqu’au bout afin d’obtenir satisfaction — c’est-à-dire réussir ce qu’elle a échoué en 2005 et camouflé sous le vocable douteux de repli stratégique — ou encore si elle est seulement capable de les faire surfer sur un mouvement qui se terminera inéluctablement par une trahison.

Ce questionnement peut choquer mais un travail critique sur l’idée d’une collaboration à tout prix entre organisations nationales demeure nécessaire. Les conflits historiques du mouvement étudiant doivent être débattus en assemblée générale et dans nos comités de mobilisations :en maîtrisant ses tenants et aboutissants, nous éviterons les erreurs du passé lorsque nous aurons à prendre d’importantes décisions sur l’orientation de la lutte. Nous ne sommes pas dupes... L’union du mouvement étudiant a un prix : celui de ne pouvoir dénoncer les décisions négociées avec les gouvernements, décisions imposées trop souvent du haut vers le bas à l’ensemble des étudiantes et étudiants. Force étudiante critique appelle à une grève générale déterminée et vigoureuse demeurant vigilante face au risque de récupération réel. Cette grève, comme toutes les autres, doit être composée d’individus qui ne se laisseront pas manipuler par les petits chefs étudiants en quête de capital politique, de gauche comme de droite.

Pancartes de Force étudiante critique portées durant la
manifestation.